MINUSMA : par ici la sortie

Les jeux semblent faits pour la mission onusienne, après la demande officielle de son départ « sans délai » du Mali par les autorités de la Transition, le 16 juin 2023. Confrontée au retrait de certains pays contributeurs et à la contestation d’une partie de la population, aucune parade ne paraît possible pour éviter le désengagement de la Minusma, dont l’avenir sera discuté le 29 juin prochain à l’ONU.

La décision en a surpris plus d’un. Lors de la session du Conseil de Sécurité consacrée à l’examen du Rapport trimestriel du Secrétaire général des Nations unies sur la situation au Mali, tenue à New York le 16 juin 2023, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop, a, au nom de l’État malien, demandé le retrait « sans délai » de la MINUSMA. Depuis quelque temps, ce n’est plus le grand amour entre les autorités de la Transition et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

Dans son rapport du 1er juin 2023, le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, indique que les déplacements de la MINUSMA, « tant au sol que dans les airs, ont continué de faire l’objet de restrictions ». Entre le 1er avril et le 11 mai 2023, la Mission a demandé 565 autorisations de vol, dont 167 n’ont pas été obtenues. En plus, selon le document, elle a subi deux restrictions à ses mouvements terrestres. Le 21 avril, l’une de ses patrouilles s’est vu refuser l’accès au village de N’Tomi Kono, situé à 40 kilomètres de Sévaré, et le 2 mai une patrouille s’est retrouvée bloquée au niveau du poste de contrôle des Forces armées maliennes du village de Thy, à 9 kilomètres au nord de Sévaré. « Dans le centre, la MINUSMA et ses patrouilles de protection des civils n’ont plus eu accès aux villes de Djenné et de Sofara depuis avril, en raison d’opérations militaires des Forces armées maliennes. À Gao, l’accès aux zones sud d’Ansongo et de Tessit est également resté prohibé à la Mission pour des motifs similaires », déplore António Guterres.

Outre ces restrictions à la liberté de déplacement que le gouvernement impute au non-respect des procédures convenues, la Mission voit ses rapports contestés en bloc devant l’ONU par l’État malien et l’expulsion de membres de son personnel. Le 5 février dernier, Guillaume Ngefa-Atondoko Andali, Directeur de la Division des droits de l’Homme de la MINUSMA, a été renvoyé du pays, tout comme, quelques mois auparavant, Olivier Salgado, qui était le Porte-parole de la Mission.

Elle est également poussée vers la sortie par certaines organisations, notamment le mouvement Yèrewolo Debout sur les remparts, dont certains membres accusent la mission onusienne de « raviver le terrorisme au Mali ». En sus, dans une lettre adressée en août 2022 aux responsables de la Minusma « pour qu’elle parte », le collectif, dirigé par le membre du Conseil national de transition Adama Ben Diarra, a multiplié les manifestations et propos hostiles à sa présence. Sans pourtant valider ces agissements, le gouvernement ne les a cependant jamais condamnés.

Les raisons de la demande ?

Pour le gouvernement, le mandat de la Minusma n’est pas adapté à la situation sécuritaire au Mali, qui aurait nécessité, selon lui, une force de lutte contre le terrorisme dépassant la doctrine des missions de paix des Nations Unies. « En outre, la Minusma devient désormais une partie du problème, notamment en alimentant les tensions intercommunautaires exacerbées par des allégations d’une extrême gravité et qui sont fortement préjudiciables à la paix, à la réconciliation et à la cohésion sociale », déclare le Porte-parole du gouvernement, le Colonel Abdoulaye Maïga. Par ailleurs, les autorités de la Transition ne pardonnent pas aux Nations unies le rapport de mai 2023 dans lequel elle accuse les Forces armées maliennes d’exactions contre des populations civiles dans le village de Moura, dans la région de Mopti, en mars 2022. Après une plainte du contentieux de l’Etat contre des membres de la mission d’établissement des faits de Moura, la justice malienne a annoncé dans un communiqué lundi 19 juin l’ouverture d’une enquête pour « espionnage, atteinte au moral des armées de l’air ou de terre, faux et usage de faux et d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ».

« C’est la mission même qui a été un échec. Elle n’a jamais pu sécuriser les civils et n’a pas pu aider le Mali à recouvrir son intégrité territoriale et sa stabilité. C’est pourquoi on lui demande de partir. Elle a échoué, elle doit l’assumer et partir », renchérit le Commandant en chef de Yerowolo debout sur les remparts, Adama Ben Diarra.

Ce collectif, farouchement opposé à la France, en veut aussi à la mission onusienne parce que « ce pays a encore des personnes dans des postes-clés de la Minusma. De ce fait, si on doit chasser Barkhane pour maintenir la Minusma, c’est comme si l’ennemi restait toujours là », explique un membre de la cellule de Communication du mouvement, selon lequel, « si on pouvait réviser ses conditions et donner le leadership de la Minusma par exemple à la Russie ou à la Chine, c’est sûr qu’elle serait une mission de soutien et non de déstabilisation ».

La Mission est aussi confrontée à une défiance de la population malienne en général. Les résultats de l’enquête d’opinion « Mali-Mètre 2022 » de la Fondation Friedrich Ebert montrait que plus de la moitié des sondés n’étaient pas satisfaits de la Minusma, avec « 14% plutôt insatisfaits et 45% très insatisfaits ».

D’autre part, « de manière officieuse », certains politiques voient en la décision du gouvernement « une façon de truquer les élections futures sans que la Minusma ne vienne fourrer son nez dans ses affaires. Je ne conçois pas qu’on demande le départ de la Mission au moment où s’annoncent les élections majeures que sont la présidentielle et les législatives. Pour la sécurisation ou l’acheminement des équipements, par exemple, elle pourrait aider », fait remarquer un acteur politique.

Processus de désengagement

Après dix ans de présence au Mali, la mission onusienne s’achemine très probablement vers sa fin. Mais si cela est acté le 29 juin par le Conseil de sécurité de l’ONU, « le retrait ne se fera pas à l’instant, comme le pensent beaucoup de gens », indique un employé de la MINUSMA. D’après un rapport d’octobre 2018 sur les conditions et stratégies de sortie des opérations de maintien de la paix, l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix, de manière générale, « le processus doit être envisagé dans une stratégie intégrant une approche inclusive alliant complémentarités entre les différents acteurs intervenants et coordination efficace ».

Ceci va aboutir à la fermeture physique et au retrait de la mission, aussi appelée liquidation. Au-delà du désengagement des contingents, les opérations concerneront également, entre autres, la fermeture des sites, l’inventaire et la cession des actifs de la mission, la rupture des contrats avec les prestataires, la réduction d’effectifs, la réaffectation du personnel, le transfert de responsabilités au gouvernement du pays hôte et aux agences onusiennes, ainsi que les dernières transactions administratives.

« C’est un processus complexe qui peut s’inscrire dans un calendrier de longue durée », note l’agent de la mission. Ce processus peut prendre plusieurs mois, voire une année. Selon un responsable de la mission sous couvert d’anonymat, la Minusma n’a pas perdu l’espoir de changer la décision des autorités. Pour certains, cette demande est un « moyen de pression » afin que les Nations unies acceptent les conditions du Mali en cas de renouvellement.

Nombreuses conséquences

Les conséquences pourraient être terribles. Décriée sur l’aspect sécuritaire, la MINUSMA contribue toutefois au développement socio-économique du Mali. Après une décennie de présence, elle emploie au moins 859 Maliens, selon les données de ses effectifs de décembre 2022. À cela s’ajoutent plusieurs activités socio-économiques. Ce qui fait craindre à Bakary Sidibé, Président du mouvement de jeunes de Gao Gomno, son probable départ. « La Minusma joue un grand rôle au Nord au plan du développement et humanitaire. Par exemple, en septembre dernier, alors que la ville de Gao était en rupture de médicaments, elle a transporté les colis des pharmacies dans ses avions car la route Douentza-Gao était coupée par les terroristes ». De plus, continue-t-il, elle a créé à Gao plus de 150 emplois directs et, en collaboration avec les ONG, elle fournit aussi du travail à plus de 800 personnes. Le gouvernement doit prendre des mesures pour ces gens avant le retrait de la Mission, car, s’il lutte contre l’insécurité, il doit aussi lutter contre le chômage ». Certains observateurs affirment que le gouvernement ne pourra pas combler le fossé économique que creuserait le départ de la Mission. Ce qui pourrait accentuer des frustrations entraînant une grogne sociale, craignent-ils. Le CSP qui regroupe les principaux groupes armés signataires de l’accord pour la paix a demandé le maintien de la mission. Son départ serait selon eux un coup fatal porté à l’accord.

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