Après les prises d’Anéfis et de Tessalit, tous les regards sont tournés vers la ville de Kidal, dont le contrôle est le principal objectif de l’armée malienne. Alors que la MINUSMA accélère son retrait, « l’inévitable » bataille de Kidal semble plus que jamais imminente.
Dans sa note aux correspondants du 14 octobre dernier, la Minusma alertait sur les « tensions accrues dans le nord du Mali » qui augmentaient la probabilité d’un départ forcé de la Mission de cette région du pays. Une semaine après, le 21 octobre, la Mission onusienne a indiqué avoir achevé son retrait accéléré de sa base de Tessalit, dans la région de Kidal, « dans un contexte sécuritaire extrêmement tendu et dégradé, mettant en danger la vie de son personnel ».
« Avant son départ, la MINUSMA a dû prendre la décision difficile de détruire, désactiver ou mettre hors service des équipements de valeur, tels que des véhicules, des munitions, des générateurs et d’autres biens, parce qu’ils ne pouvaient pas être retournés aux pays contributeurs de troupes auxquels ils appartenaient ou redéployés vers d’autres missions de maintien de la paix des Nations Unies », a précisé la Mission onusienne.
« Les FAMa occupent entièrement le camp de Tessalit. Nous allons défendre corps et âme cette emprise pour honorer le Mali. Il faut aussi savoir que l’ONU n’a laissé aucun matériel de guerre dans le camp. Tous les matériels de guerre ont été soit transportés soit détruits sur place », a confirmé le Chef du détachement FAMa de Tessalit.
La même procédure devrait s’appliquer pour le cas de Kidal, même si le gouvernement de transition, dans un communiqué, le 18 octobre dernier, soupçonne une « fuite orchestrée en prétextant des raisons fallacieuses », visant à « équiper les groupes terroristes en abandonnant délibérément des quantités importantes d’armes et de munitions pour réaliser leur dessein funeste ».
Retrait anticipé
La fermeture du camp de Tessalit, qui marque le premier retrait de la Minusma de la région de Kidal, a été suivie dans la foulée de celle du camp d’Aguelhok. « Nos Casques bleus ont quitté ce jour le camp d’Aguelhok, dans le cadre de notre retrait du Mali et dans la fourchette prévue dans le plan communiqué au gouvernement malien. La situation sur place était devenue très dangereuse pour leur sécurité, avec des informations faisant état de menaces réelles contre eux », a affirmé un communiqué de la Minusma le 23 octobre.
Si à Tessalit l’ex-camp de la Minusma a été rétrocédé à l’armée malienne, ce n’est pas le cas à Aguelhok, où les Casques bleus de l’ONU ont déserté leur ancienne emprise sans rétrocession aux autorités maliennes.
Alors que cette situation faisait craindre une confrontation entre l’armée et le CSP-PSD pour le contrôle du camp, les tensions se sont très vite exacerbées entre les deux parties. Selon un communiqué de l’armée du 24 octobre, qui a souligné que cette situation de départ précipité de la Minusma mettait en péril le processus entamé et menaçait la sécurité et la stabilité dans la localité d’Aguelhok, « les terroristes ont profité de ce désordre pour s’introduire dans le camp et détruire plusieurs installations. Ils ont été neutralisés par les vecteurs aériens des FAMa ».
Quant à la rétrocession du camp de Kidal, qui cristallise les attentions et est source de tensions entre l’armée malienne et la CMA, appuyée par Fahad Ag Almahmoud, la Minusma a indiqué évaluer « attentivement la situation en vue d’ajuster le plan de retrait de sa base dans la ville de Kidal », sans pour autant avancer de date précise. Elle a, selon des sources locales, évacué le 25 octobre une grande partie du personnel du camp de Kidal. Il ne reste plus que quelques soldats tchadiens et togolais qui partiront dans quelques jours. En attendant, la CMA et ses alliés ont pris position autour du camp.
Changement de stratégie ?
Le départ précipité de la MINUSMA de son emprise de la ville de Kidal, contrairement au calendrier initial, pourrait-il impacter le processus de récupération de ce camp par l’armée malienne ? Pour Ibrahima Harane Diallo, chercheur à l’Observatoire sur la prévention et la gestion des crises au Sahel, bien qu’il aurait été souhaitable que la Minusma s’en tienne au calendrier de départ, ce changement n’affectera en rien les plans des FAMa, qui, selon certains observateurs, pourraient presser le pas et risquer des pertes en n’avançant pas à un rythme mieux « sécurisé ».
« À partir du moment où l’armée est déjà présente dans certaines localités telles que Ber, Anéfis ou encore Tessalit, cela suppose que stratégiquement elle peut s’emparer de Kidal », dit-il. « Cette question de changement de calendrier n’est pas à mon avis déterminante dans la stratégie militaire mise en place. Cela peut peut-être changer la tactique de l’armée, mais je ne suis pas sûr qu’elle apporte un changement de stratégie globale », confie celui qui est également chercheur associé au Timbuktu Institute.
À l’intérieur de la ville de Kidal, la CMA mobilise. Sur ses différentes pages, Alghabass Ag Intalla a lancé un appel à la jeunesse de « l’Azawad » afin qu’elle soit la protectrice de la patrie et des faibles. « Un pays que nous ne protégeons pas ne mérite pas d’y vivre », a-t-il ajouté. Dans une déclaration en date du 24 octobre signée du « Meeting de la population de Kidal », il est demandé à la MINUSMA de céder son emprise aux autorités locales. Le meeting, poussé par la CMA, annonce tenir désormais un sit-in permanent à l’aérodrome de Kidal, pour « empêcher tout atterrissage d’avions autres que ceux impliqués dans le processus de retrait de la MINUSMA ». Ce sit-in, s’il a lieu, pourrait mettre en place des boucliers humains, selon un analyste.
Communication contre communication
Comme nous l’écrivions dans l’une de nos récentes parutions, en prévision de la reprise des hostilités à Kidal plusieurs combattants venus de Libye se sont joints à la CMA. Ils ont apporté avec eux de nombreuses armes, dont des missiles sol-air pour tenter d’abattre les avions des FAMa. À en croire certaines sources, Fahad Ag Almahmoud et ses hommes, qui étaient principalement stationnés aux alentours d’Anefis, se sont rapprochés de Kidal. La tension est très vive et les principaux leaders de la CMA jouent une partie de leur va-tout sur la communication. « Nous nous battons pour défendre notre culture et nos aspirations politiques. Nous continuerons de nous battre jusqu’à obtenir un nouvel accord avec le gouvernement, qui nous garantira une administration en mesure d’offrir une nouvelle gouvernance à nos régions », clamait Bilal Ag Achérif, cadre de la CMA, dans une récente interview accordée à un journal étranger. D’habitude réservé, le Secrétaire général du MNLA multiplie les interviews avec des médias français et britanniques, dans lesquelles il lance des appels à des soutiens matériels et s’évertue à porter des accusations d’exactions sur les FAMa et « Wagner ». La présence du groupe paramilitaire au Mali n’a jamais été confirmée par les autorités, qui évoquent plutôt des instructeurs russes. Sur les réseaux sociaux, notamment X (ex-Twitter) et Facebook, des comptes proches de la CMA relaient des accusations d’exactions supposées sans toutefois apporter de preuves concrètes. Pour tenter de contrer cette communication, l’armée a réajusté sa stratégie. Les « longs » communiqués de la DIRPA sur deux ou trois pages ont été remplacés par des formats plus courts et plus digestes. Face au terme de génocide visant une communauté employé par des proches de la CMA, les autorités utilisent activement l’ORTM. Dans l’une de ses émissions, la chaine nationale a fait intervenir Zeidan Ag Sidilamine, un ancien cadre des mouvements rebelles des années 1990 qui a même été leur porte-parole et qui dément tout amalgame visant des Touaregs à Bamako.
Vers un nouvel accord ?
Une éventuelle prise de Kidal par les FAMa ne signifiera pas non plus la fin de la guerre. Même si, pour beaucoup d’analystes sécuritaires elle permettra de porter un coup aux groupes rebelles et terroristes en les privant d’une base arrière, après l’occupation de Ber. Et pour Bamako ce sera un énorme gain politique. Toutefois, les tactiques de guérilla et de harcèlement se poursuivront certainement. Jusqu’à quand ? La signature ou la relecture d’un Accord pour la paix, répond un analyste en géostratégie. Avec cette fois-ci « l’État en position de force ». Les différents protagonistes ont conscience que cette guerre d’usure ne pourra pas durer éternellement. La voie du dialogue est toujours ouverte, si l’on s’en tient aux différentes déclarations des autorités et des groupes armés. Avec quel médiateur ? L’Algérie toujours, mais son rôle est contesté. La CMA estime « être trahie » par Alger, qu’elle juge beaucoup trop silencieuse et qui ne ferait pas assez pression sur les autorités, qui, de leur côté, n’ont que peu goûté que le Président algérien reçoive une délégation de la CMA.