Confrontée à des difficultés de mise en œuvre depuis sa signature en 2015, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger n’a jamais autant frôlé la rupture. Alors que le début de la Transition, en août 2020, avait suscité un espoir de relance chez différentes parties signataires, le processus de paix est à nouveau bloqué depuis décembre dernier. La médiation internationale s’active pour le relancer, mais l’avenir de l’Accord semble de plus en plus incertain.
Le désaccord persiste entre le gouvernement de transition et les mouvements armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Alors que ceux-ci (Coordination des mouvements de l’Azawad, Plateforme du 14 juin d’Alger et Mouvements de l’Inclusivité), réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), demandent la tenue d’une réunion en terrain neutre pour discuter de la viabilité de l’Accord, la partie gouvernementale rejette toute rencontre en dehors du Mali.
Les mouvements du CSP-PSD ont d’ailleurs décidé le 21 décembre 2022 de suspendre leur participation aux mécanismes de suivi et de mise en œuvre de l’Accord jusqu’à la tenue de cette réunion avec la médiation internationale. En cause, « l’absence persistante de volonté politique des autorités de transition à appliquer l’Accord pour la Paix et la réconciliation au Mali issu du Processus d’ Alger et l’inertie de celles-ci face aux défis sécuritaires ayant occasionné des centaines de morts et de déplacés dans les régions de Ménaka, Gao et de Tombouctou ».
À Kidal, Bamako indexé
Saisie début décembre pour l’organisation de la réunion en terrain neutre, la médiation internationale, accompagnée d’une délégation d’ambassadeurs d’États membres du Conseil de sécurité de l’ONU et du Comité de suivi de l’Accord pour la paix, s’est rendue le 1er février à Kidal pour échanger avec les groupes armés signataires et mieux cerner leurs attentes.
Lors de cette rencontre, les groupes armés signataires ont réitéré avec insistance la demande de tenue d’une réunion en terrain neutre et appelé la médiation internationale à raffermir sa conduite du processus de paix et à assumer ses responsabilités. Celle-ci en retour a indiqué la tenue prochaine d’une réunion de médiation élargie afin de rapprocher les positions des deux parties. « La CMA a signé l’Accord après des pressions et des garanties de la communauté internationale et elle doit tenir ses promesses. Si la communauté internationale ne peut pas forcer le Mali à mettre en œuvre l’Accord pour la paix de 2015, alors il faut penser à une autre solution et nous ne pouvons pas rester dans cette situation parce qu’elle dure depuis trop longtemps », s’est agacé pour sa part, Bilal Ag Achérif, Chef du MNLA et ancien Président de la CMA. Le Président de la Société civile de la région de Kidal a quant à lui déploré un « recul dans le processus d’application de cet Accord concrètement exprimé par les autorités de la Transition » depuis le coup d’État d’août 2020 contre IBK.
Bras de fer
Pourquoi le Cadre des groupes armés signataires insiste-il autant sur la tenue d’une réunion sur la viabilité de l’Accord en terrain neutre ? Attaye Ag Mohamed, Chef de délégation de la CMA au Comité de suivi de l’Accord (CSA), soutient qu’un terrain neutre permettrait plus de se retrouver dans l’environnement dans lequel l’Accord a été négocié il y a 8 ans à Alger. « Nous l’avons demandé pour que ce climat de discussions directes, en face à face, avec la médiation internationale puisse se créer, pour voir où se situe exactement le problème. Si c’est au niveau du gouvernement ou à notre niveau à nous ou encore si c’est la médiation internationale elle-même qui ne joue pas son rôle », explique-t-il, reconnaissant également une « confiance de moins en moins existante » sur les questions de fond.
Le gouvernement de transition, qui n’adhère à aucune rencontre en dehors des réunions du CSA, encore moins en dehors du Mali, affirme toutefois son engagement à poursuivre sans équivoque la mise en œuvre diligente de l’Accord pour la paix, mais dans les normes. « Nous, nous sommes un État. Les autres sont des mouvements signataires. Le gouvernement a indiqué que lors des réunions du CSA, pour qu’un ministre du gouvernement du Mali y participe, nous souhaitons que les principaux leaders des mouvements soient eux-mêmes présents, parce chaque fois que le gouvernement envoie des ministres, nous avons en face de nous des experts. Il y a un déséquilibre », a clarifié le ministre Abdoulaye Diop devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 27 janvier, regrettant la décision de suspension des groupes armés signataires qui va à « contre-sens de l’élan positif qui a été imprimé ces derniers mois » à la mise en œuvre de l’Accord.
Accord en danger ?
En lieu et place de la réunion demandée par le CSP-PSD, le Mali a sollicité l’Algérie, chef de file de la médiation internationale, pour la tenue d’une réunion du CSA à un niveau ministériel dès ce mois de février, pour permettre de reprendre le dialogue avec les parties signataires, a indiqué le ministre Diop. Mais, pour l’heure, le CSP-PSD, qui maintient sa suspension des mécanismes de mise en œuvre de l’Accord, n’entend pas y participer.
Selon Moussa Djombana, analyste politique et sécuritaire, bien que la tenue d’une réunion en terrain neutre puisse aider à relancer les discussions, il est possible de sauver l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali sans sa tenue, qui fait l’objet de mésententes entre le gouvernement et les groupes armés signataires. « Il faut encourager le dialogue direct entre les parties. L’engagement de la communauté internationale doit aussi être franc et sincère, tout en impliquant la société civile malienne, sans laquelle rien n’est possible en termes de décisions fortes engageant l’avenir de la Nation », préconise-t-il.
Pour certains observateurs, le blocage actuel dans le processus de mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger pourrait déboucher sur une rupture si les positions des parties prenantes restent tranchées. « Je ne vois pas dans l’immédiat comment le processus pourra être relancé. C’est assez difficile », confie une source proche de la médiation internationale, qui explique que le point fondamental de blocage est le transfert des grades des ex-combattants des groupes armés dans la chaîne de commandement de la nouvelle armée reconstituée. Une Commission ad hoc a été créée pour plancher sur la question, mais elle n’a guère avancé.
Dans cette atmosphère de dégradation des relations entre Bamako et les groupes armés signataires, la Coordination des mouvements de l’Azawad a annoncé la fusion de ses différents mouvements en un seul, le 8 février 2023. Une semaine plus tôt, son Président en exercice, Alghabass Ag Intalla, a procédé à la nomination d’un nouveau Chef d’État-major, le Colonel Hamad Rhissa Ag Mohamed. La nomination de cet « indépendantiste » peut être perçue selon notre source comme un message de désaccord avec le processus de paix tel qu’il est conduit actuellement par les autorités de transition.
Mais, Oumar Sidibé, Doctorant et Professeur-assistant en Relations internationales à l’Université RUDN de Russie, pense pour sa part que les récents évènements s’inscrivent dans la dynamique des rapports de force. « On peut en effet remarquer un refroidissement des relations entre la CMA et le gouvernement de transition. Mais aucun des deux n’a intérêt à mettre fin à l’Accord et à risquer de nouvelles mésaventures. Les intérêts de tous ces acteurs convergent vers la paix, mais divergent sur la façon de l’établir », analyse t-il.
Pour lui, par ailleurs, le seul acteur qui bloque l’Accord depuis des années est le peuple malien « qu’il faudrait peut-être penser à saisir par consultation ou referendum ». « Il y a une forte pression populaire et de fortes demandes en vue d’une relecture de cet Accord, pour reconsidérer certaines dispositions qui sont perçues comme anticonstitutionnelles ou discriminatoires », rappelle M. Sidibé.
Calmer le jeu
Chérif Mohamed Ousmane Ag Mohamedoun Haïdara, Président des Mouvements de l’inclusivité, dont certains seraient membres du CSP-PSD, n’est pas sur même longueur d’ondes que les dirigeants des autres mouvements signataires. Dans un communiqué publié dans la foulée de la rencontre de Kidal, il a indiqué que les Mouvements de l’inclusivité soutenaient fermement la décision des autorités de la Transition de réfuter toute rencontre inter Maliens en terre étrangère.
« Tous les mouvements signataires de l’APR ne sont pas inscrits sur les listes du CSP. De même qu’ils ne le sont pas tous sur celles de la CMA, qui tente de dissimuler son infortune sous le couvert du l’hydre toujours en gestation appelée CSP », a fustigé celui qui est également membre du CNT.
Mais, pour calmer le jeu et éviter l’escalade, le Général El Hadj Ag Gamou, chef du GATIA, a lancé dans une vidéo, le 6 février, un message d’apaisement aux différents acteurs du processus de paix, en les invitant à l’union pour venir au secours des populations qui souffrent de l’insécurité grandissante. « L’heure n’est plus au bras de fer entre responsables d’un même pays, mais à la mobilisation générale pour l’intérêt de la population, qui ne réclame que son droit à la sécurité et celle de ses biens », a plaidé le chef militaire, qui appelle à éviter une « guerre entre Maliens qui ne nous grandira pas ».
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